
L’attaque brutale d’un homme par une meute de neuf chiens en pleine ville a fait resurgir une problématique encore largement ignorée en Tunisie : l’absence d’un cadre juridique clair encadrant l’élevage, la détention et la sécurité des chiens, notamment ceux dits « dangereux ». La victime, grièvement blessée, a été hospitalisée d’urgence. Le propriétaire des animaux a été placé en détention provisoire.
❗ Un flou juridique inquiétant
Contrairement à de nombreux pays, la Tunisie ne dispose pas de loi spécifique sur les chiens dangereux. Le Code pénal, à son article 317, se limite à interdire la maltraitance animale, sans évoquer les obligations de sécurité ou les conditions de détention. Aucune disposition ne précise les responsabilités du propriétaire en cas d’attaque, ni ne réglemente les races interdites.
Certes, la loi n°2005‑95 du 18 octobre 2005, relative à l’élevage, mentionne les normes d’identification, les registres généalogiques ou les obligations sanitaires, mais elle ne s’applique qu’aux élevages formels et ignore totalement le contexte urbain ou les chiens de compagnie. Le cadre reste lacunaire, tant sur la possession de chiens potentiellement dangereux que sur la protection des riverains ou la gestion de la cohabitation dans les immeubles.
⚖️ Un décalage avec les standards internationaux
L’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) recommande, dans ses lignes directrices sur le bien-être des chiens errants et sur la propriété responsable, que les États adoptent des règles strictes de détention, d’identification, de vaccination, de stérilisation et de surveillance. Ces recommandations visent à prévenir à la fois les risques sanitaires (rage, zoonoses) et les problèmes de sécurité publique.
Parmi les principes énoncés par l’OMSA :
- Identification obligatoire (puce électronique ou tatouage)
- Vaccination antirabique systématique
- Stérilisation contrôlée
- Interdiction des élevages clandestins
- Sanctions en cas de négligence ou de comportement agressif du chien
Actuellement, aucun de ces principes n’est pleinement intégré dans la législation tunisienne. La Tunisie est pourtant membre de l’OMSA depuis 1956, et engagée dans le programme régional de lutte contre la rage.
🐕 Bien-être animal : une autre victime silencieuse
Si la question sécuritaire domine les débats, le bien-être animal est aussi en jeu. En l’absence de régulation, des chiens sont élevés dans des conditions inadaptées, parfois dans des cages exiguës, sans soins vétérinaires ni socialisation. Lorsqu’ils deviennent agressifs, ils sont abandonnés, euthanasiés ou utilisés pour la garde dans des milieux peu appropriés.
Les campagnes d’abattage menées par les autorités pour lutter contre les chiens errants sont dénoncées par plusieurs ONG comme inefficaces, cruelles et contraires aux standards OMSA, qui préconisent plutôt des approches « une seule santé » combinant santé publique, bien-être animal et environnement.
📢 Un appel à la réforme
Face à cette situation, des juristes, vétérinaires et défenseurs des animaux appellent à une réforme d’envergure :
- Élaboration d’un code de détention des animaux domestiques, incluant une classification des races, un système de permis, et des responsabilités claires du propriétaire.
- Adoption d’un plan national de gestion des chiens errants fondé sur la stérilisation, la vaccination et l’identification.
- Mise en place de structures municipales de contrôle vétérinaire, en lien avec les recommandations internationales.
- Intégration des principes de bien-être animal dans la loi, en conformité avec l’OMSA et les objectifs de santé publique.
Le drame de Gabès est un signal d’alarme. Sans cadre juridique clair, la Tunisie expose ses citoyens à des risques croissants, tout en perpétuant des pratiques contraires aux normes internationales de bien-être animal. Une réforme ambitieuse, alignée avec les recommandations de l’OMSA, s’impose pour construire une société où humains et animaux peuvent cohabiter en toute sécurité.