
Le virus de la grippe aviaire hautement pathogène A(H5N1) refait parler de lui. Mais cette fois, il ne s’agit plus seulement de volailles mortes ou de foyers épisodiques. Ce virus redoutable élargit son terrain d’attaque, traverse les barrières d’espèces, s’installe chez des mammifères – y compris les vaches laitières – et touche désormais des travailleurs agricoles. Pour les experts, il est clair : le H5N1 s’approche dangereusement du seuil pandémique. Et si le monde tarde à réagir, l’Afrique pourrait en être l’un des premiers maillons faibles.
De la basse-cour à la ferme laitière : le saut d’espèce de trop ?
Depuis sa première apparition en 1996, le H5N1 a beaucoup évolué. Aujourd’hui, dans sa forme dite clade 2.3.4.4b, il infecte un nombre croissant d’animaux éloignés les uns des autres sur le plan géographique et génétique : lions de mer, dauphins, ours polaires, chats domestiques, et maintenant bovins laitiers aux États-Unis.
Dans ces troupeaux, le virus a été identifié dans les glandes mammaires, excrété dans le lait cru, et transmis à plusieurs employés agricoles, principalement par projection oculaire. Chez les chats ayant consommé ce lait infecté, les chercheurs observent des formes graves avec atteintes neurologiques et respiratoires. Cette proximité grandissante avec l’humain est source d’inquiétude : un réassortiment génétique, même minime, pourrait suffire à faire basculer le virus vers une transmission interhumaine durable.
L’Afrique : entre vulnérabilité et rôle stratégique
En Afrique, où l’élevage constitue un pilier socio-économique et nutritionnel, les risques sont démultipliés :
- Filières aviaires et bovines souvent peu encadrées ;
- Consommation fréquente de lait non pasteurisé ;
- Forte promiscuité entre humains, animaux domestiques et faune sauvage ;
- Capacités de diagnostic et de surveillance inégalement réparties.
Un scénario de propagation H5N1 dans un contexte rural ou périurbain africain serait dévastateur : pertes massives de bétail, chute de la production alimentaire, marchés désertés, et systèmes de santé submergés.
Mais l’Afrique peut aussi jouer un rôle de sentinelle si elle agit vite, avec coordination et vision stratégique.
Ce que recommande l’approche « One Health, One Earth, One Ocean »
Le Pr Giovanni Di Guardo, pathologiste vétérinaire à l’Université de Teramo (Italie), appelle à une réponse globale et anticipative, fondée sur l’interconnexion entre la santé humaine, animale et environnementale. Pour le continent africain, cela signifie :
✅ Renforcer la surveillance épidémiologique conjointe : animaux sauvages, élevages et communautés humaines ;
✅ Intégrer les vétérinaires et laboratoires dans les systèmes d’alerte précoce ;
✅ Encadrer strictement la production et la consommation de produits laitiers crus ;
✅ Soutenir la recherche africaine sur les vaccins vétérinaires et humains, y compris à ARN messager ;
✅ Déployer des campagnes communautaires de sensibilisation et de biosécurité dans les zones à risque.
Une alerte… ou une opportunité ?
La pandémie de COVID-19 a montré l’importance de ne pas sous-estimer les signaux faibles. Le H5N1 est un signal fort. Le virus circule, mute, explore, apprend. Et le monde regarde, hésite.
L’Afrique, elle, ne peut pas attendre.
Il ne s’agit plus de réagir, mais d’anticiper. Car prévenir une pandémie coûte toujours moins cher que d’en subir les conséquences. Il est temps d’agir avec les outils que nous avons, les réseaux que nous avons, les expertises que nous avons.
Pour en savoir plus :
👉 Lire l’analyse scientifique du Dr Di Guardo (juin 2025) : VetSci MDPI – DOI: 10.3390/vetsci12060566