
Au Sénégal, le secteur de la pêche artisanale traverse une zone de turbulence prolongée. Raréfaction des ressources, tensions avec la Mauritanie, absence de mesures d’accompagnement : autant de facteurs qui plongent les communautés de pêcheurs dans une précarité croissante. En toile de fond, un enjeu central pour la sécurité alimentaire, l’emploi rural et la résilience des systèmes côtiers.
Un secteur stratégique à bout de souffle
Avec 3,2 % du PIB national et près de 700 000 emplois directs et indirects, la pêche est un pilier de l’économie sénégalaise. Mais sur le terrain, les professionnels peinent à maintenir leur activité.
Depuis la fin de l’accord de pêche avec l’Union européenne, en novembre 2024, les espoirs d’un renouveau halieutique étaient permis. Certaines espèces, comme le gros thon, ont refait surface dans les eaux sénégalaises.
« Nous avons débarqué plus de 300 kilos de gros thons. Mais sans équipements adaptés, on ne peut pas en profiter pleinement », explique Moustapha Dieng, secrétaire général du Syndicat national des pêcheurs du Sénégal.
Les pirogues artisanales ne sont pas conçues pour exploiter ces ressources à grande échelle. Et aucune politique d’accompagnement n’a été mise en œuvre.
Tensions croissantes avec la Mauritanie
Le climat s’est fortement dégradé entre le Sénégal et la Mauritanie. Depuis plusieurs mois, des centaines de pêcheurs sénégalais sont arrêtés, accusés de pêcher dans les eaux mauritaniennes sans contrat de travail.
« Ce qu’on observe en Mauritanie est très préoccupant. On interpelle nos pêcheurs parce qu’ils n’ont pas de contrat, alors que ça n’existe pas dans la pêche artisanale », déplore Moustapha Dieng.
Ousmane Ndoye, pêcheur de la région de Saint-Louis, témoigne :
« Nous avons été arrêtés en mars. Ils nous ont demandé une carte de séjour. On n’a même pas eu le temps de s’expliquer. On a été détenus pendant neuf jours dans des conditions très difficiles. »
Deux visites officielles en moins de deux mois
Pour calmer les tensions, le gouvernement sénégalais a dépêché deux hauts responsables à Nouakchott :
- Le Premier ministre Ousmane Sonko
- Et la ministre des Affaires étrangères, Yacine Fall
Cette dernière a été reçue par le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Officiellement, il s’agissait de renforcer la coopération bilatérale, notamment dans le cadre du projet gazier Grand Tortue Ahmeyim. Mais dans les faits, les détentions de pêcheurs sénégalais dominent les préoccupations.
« On ne doit pas les maltraiter ni les placer dans des situations de vulnérabilité. Ce sont des citoyens », a déclaré Mme Fall à l’Assemblée nationale.
Une relance attendue, mais encore floue
Face à l’ampleur des difficultés, le président Bassirou Diomaye Faye a ordonné des concertations inclusives pour relancer la pêche artisanale.
Objectif : structurer un plan de développement capable de :
- Moderniser les équipements de pêche,
- Améliorer les infrastructures de conservation,
- Valoriser les produits halieutiques locaux,
- Et renforcer le rôle des acteurs professionnels.
« Rien n’a été fait depuis la fin de l’accord avec l’Europe. Il faut des mesures concrètes et une vraie politique de développement », insiste Moustapha Dieng.
Une crise aux conséquences humaines
La crise actuelle alimente également l’émigration clandestine. Entre le 10 et le 15 mars 2025, près de 400 jeunes candidats au départ ont été interpellés dans la zone de Dionewar, à une centaine de kilomètres de Dakar.
La perte de revenus, la pression sur les ressources naturelles et l’absence de perspectives poussent de nombreux jeunes vers des itinéraires migratoires dangereux.