Il est admis que la génétique reste un mystère malgré la découverte importante de la structure hélicoïdale à trois dimensions de l’ADN par Watson et Crick en 1953. Cette découverte a été le point de départ de toutes les applications génétiques connues aujourd’hui. De l’augmentation des productions animales par la sélection génomique à l’utilisation thérapeutique des anticorps monoclonaux. Les domaines d’application de la génétique sont aussi vastes que le mystère qui l’entoure. En effet, la majeure partie de l’ADN est non codante. Ces portions non codantes appelées introns se retrouvent entre les gènes. Ces portions appelées Le fameux « ADN poubelle » par les scientifiques aurait en fait une précieuse utilité : contrôler les gènes selon les résultats issus d’une vaste étude internationale du programme Encode. Chez l’être humain, il en représente plus de 90 %. Ce mystère est resté longtemps ignoré malgré les modèles développés pour prédire l’expression génétique. Le plus célèbre utilisé en génétique quantitative est la méthode BLUP (Best Linear Unbiased Prediction), un modèle mathématique développé par Henderson pour estimer les effets génétiques additifs afin de choisir les parents de la génération future.
La génétique dans les productions agricoles n’est pas seulement biologique, elle aussi économique et sociale. Des approches économiques et sociologiques sont actuellement développées pour tenir compte de ces dimensions dans les programmes d’amélioration génétique. Dans ce texte, nous retenons l’approche biologique pour faire comprendre la fragilité des abeilles en dépit de leur rôle majeur dans l’environnement.
De façon plus simple, un descendant est la somme des moitiés du patrimoine génétique de chacun des parents (n chromosomes + n chromosomes = 2n chromosomes). Ainsi la diversité d’apparence physique des progénitures d’une même fratrie est conçue lors de la méiose avant la fécondation. Du moins ce qu’on observe chez les mammifères y compris chez l’homme. Cette expression différente des copies génétique héritée des parents chez la progéniture est connue sous le nom de l’empreinte parentale. Elle est surtout observée chez les espèces diploïdes (2n chromosomes). Chez ces espèces, le sexe est déterminé par les gamètes X ou Y. Par contre, chez les abeilles, un système hapodiploïde (n chromosomes et 2n chromosomes) est rencontré. Le sexe est déterminé par le nombre de chromosomes qu’un individu reçoit. Une progéniture formée de l’union d’un spermatozoïde et d’un ovule se développe comme femelle, et un ovule non fécondé se développe comme mâle. Cela signifie que les mâles ont la moitié du nombre de chromosomes d’une femelle et sont haploïdes. Ce système haplodiploïde de détermination sexuelle a pour conséquences un certain nombre de particularités, la principale d’entre elles est qu’un mâle n’a pas de père et ne peut avoir de fils, mais qu’il a un grand-père et peut avoir des petits-fils. Et aussi parmi les femelles, une seule sera reine parce que nourrie exclusivement avec de la gelée royale.
De ce qui, précède, donc trois facteurs entrent en jeux dans le déterminisme génétique de l’abeille : le déterminisme génétique (stricto sensu où deux matériels génétiques femelle et mâle sont concernés), l’épigénétique et la parthénogenèse.
Le déterminisme génétique : Il est dit plus haut que la reproduction est la rencontre entre la moitié des chromosomes mâles et femelles. Ce type de reproduction se rencontre aussi chez les abeilles. Mais ici au lieu d’avoir des mâles ou des femelles selon un sexe ratio bien établi, nous avons exclusivement que des femelles et desquelles seront issues des ouvrières et une reine qui sont diploïdes.
Les abeilles mâles sont nées par parthénogenèse qui est un mode de reproduction monoparental. Elle appartient aux modes de reproduction sexuée car elle nécessite l’intervention d’un gamète mais en l’absence d’apport de matériel génétique d’un autre individu. Contrairement à la reproduction diploïde, ici on ne peut pas parler d’effet d’empreinte parentale. Souvenez-vous que chez le système haplodiploïde, le sexe est déterminé par le nombre de chromosomes. Moins de chromosomes dans l’œuf, le descendent sera un mâle composé de 16 chromosomes et l’inverse donnera une femelle qui a 32 chromosomes. La conséquence génétique est qu’une abeille mâle appelée faux bourdon, produit d’un œuf non fécondé donc haploïde, héritera uniquement du patrimoine de sa mère, la reine de la ruche. La première génération compte ainsi un seul membre (le mâle). La génération précédente compte également un seul membre (la mère). La génération grand-parente compte deux membres (le père de la mère et la mère de la mère). Celle qui précède compte trois membres. Celle encore avant a cinq membres. Lorsqu’on recense ces effectifs, on obtient la séquence 1, 1, 2, 3, 5, 8,… soit la suite de Fibonacci. Encore une approche mathématique qui pourrait être utilisée pour estimer les effets génétiques additifs de la ruche. Le patrimoine génétique des faux bourdons d’une ruche est donc identique. La conséquence majeure de ce type de production serait la baisse de la variabilité génétique. Heureusement, pour maintenir cette variabilité génétique et augmenter la vigueur de la ruche, la reine, sans contraintes des pratiques apicoles modernes, s’accouple lors de son vol nuptial avec plusieurs mâles se trouvant au-delà de 10 à 15 km de sa ruche. Sa spermathèque remplie de spermatozoïdes différents, elle regagne sa ruche et passe le restant de sa vie à pondre en décidant du sexe de la progéniture donc de leur fonction future : ouvrière, faux bourdon ou reine. Restreindre cette pratique naturelle de la reine par des méthodes apicoles c’est nuire à la diversité génétique des abeilles et donc atteindre à leur survie.
Le troisième facteur du déterminisme génétique chez les abeilles est l’épigénétique. C’est un phénomène de modifications chimiques de l’ADN qui n’affectent pas la séquence codante. Ces modifications sont cependant héritables et peuvent altérer le niveau d’expression de l’information génétique. Plus haut, il est dit que la femelle nourrie exclusivement à la gelée royale sera reine. Ce phénomène peut être considéré comme déterminé socialement qui obéie à des facteurs chimiques. En effet, la gelée royale activerait des enzymes qui interviendraient lors de l’étape de traduction. Un phénomène de méthylation. Cela se traduit principalement par le développement de la spermathèque des reines. Il semblerait que l’organisation sociale des abeilles obéirait aussi à ce même déterminisme épigénétique.
Les abeilles sont des indicateurs de la bonne santé des écosystèmes jouant un rôle dans la pollinisation des espèces végétales et donc dans la production agricole. Malheureusement, elles sont reconnues seulement pour leur production de miel. Dans ce sens, des abeilles sont sélectionnées génétiquement pour seulement leur capacité de production de miel. Ces pratiques biotechnologiques conduiraient à réduire la variabilité génétique déjà fragile des abeilles. Ainsi, les pratiques apicoles et génétiques seraient aussi une menace au même titre que l’utilisation des pesticides dans les productions agricoles sur la population des abeilles et donc sur l’équilibre des écosystèmes.
Article écrit par Dr Younouss Camara, enseignant-chercheur.