
Sous le soleil ivoirien, près de 200 décideurs, parlementaires, scientifiques, vétérinaires, ONG et représentants de la société civile se sont réunis lors de la deuxième Conférence panafricaine sur l’âne (PADCO-2). Organisée par l’Union Africaine-IBAR, en partenariat avec la Coalition internationale pour les équidés de travail (ICWE) et le soutien du gouvernement ivoirien, la rencontre a marqué un tournant historique pour l’avenir des ânes sur le continent.
Les ânes, piliers discrets mais essentiels du développement africain
Loin des projecteurs, l’âne est pourtant un acteur central dans la vie quotidienne de millions d’Africains. Présent dans les campagnes comme dans les villages, il accompagne les familles dans les tâches les plus ardues :
- Transport de l’eau, des récoltes, du bois,
- Accès aux marchés pour les petits producteurs,
- Aide à l’agriculture de subsistance,
- Soutien aux activités commerciales et artisanales.
Plus de 13 millions d’ânes sont ainsi recensés en Afrique, et leur rôle est crucial pour l’autonomisation des femmes et des jeunes, pour la survie des familles lors des crises climatiques ou sanitaires, et pour la cohésion sociale des communautés rurales.
« Pour beaucoup de femmes, l’âne n’est pas seulement un outil de travail : c’est une condition d’accès à la santé, à l’éducation pour les enfants, et à l’indépendance économique », témoigne une responsable communautaire venue du Burkina Faso.
Pourtant, ce patrimoine vivant fait face à une menace sans précédent. La demande internationale de peaux d’âne, alimentée par l’industrie du ejiao (médecine traditionnelle), a fait exploser le braconnage, le trafic transfrontalier, la disparition des effectifs et la désorganisation des filières traditionnelles. Dans certaines zones, la pénurie d’ânes a déjà des conséquences directes sur la pauvreté, l’insécurité alimentaire et la charge de travail des femmes.
PADCO-2 : Trois décisions structurantes pour l’avenir
1. Validation de la Stratégie panafricaine pour l’âne (2026–2035)
Élaborée collectivement par l’UA-IBAR, les États membres et les partenaires ICWE, cette stratégie continentale fixe un cap ambitieux :
- Préserver durablement les populations d’ânes ;
- Mettre en œuvre un moratoire continental sur le commerce de peaux d’ânes ;
- Intégrer le bien-être de l’âne et des équidés dans toutes les politiques nationales d’élevage, d’agriculture, de transport rural et de développement local ;
- Investir dans la modernisation des chaînes de valeur, des services vétérinaires, de l’élevage, de la collecte de données, de la recherche et de la formation ;
- Faire de l’âne un levier de résilience face au changement climatique, de progrès pour l’égalité de genre et de lutte contre la pauvreté rurale.
2. Adoption de la Déclaration d’Abidjan et du moratoire indéfini sur l’abattage pour les peaux
Les ministres et décideurs présents ont adopté une position commune : l’abattage des ânes pour la production de peaux est désormais proscrit sur tout le continent, pour une durée indéterminée.
Ce moratoire s’accompagne de recommandations fermes :
- Retrait des licences d’abattoirs spécialisés,
- Renforcement des contrôles aux frontières contre le trafic illicite,
- Harmonisation des cadres législatifs nationaux selon les standards panafricains.
3. Lancement d’un Programme continental de l’Âne et dynamique politique panafricaine
Pour garantir l’application effective de ces engagements, l’UA-IBAR a annoncé la création d’un Programme continental de l’Âne :
- Coordination technique et politique,
- Appui aux États membres,
- Suivi-évaluation, collecte de données, gestion de l’innovation,
- Soutien au plaidoyer, à la formation et à la sensibilisation communautaire.
Ces textes seront transmis au Comité Technique Spécialisé de l’UA, puis à l’Assemblée des Chefs d’État, pour leur adoption politique au plus haut niveau.
Une mobilisation sans précédent, portée par la science, la société civile et les femmes rurales
PADCO-2 a rassemblé un panel exceptionnel de décideurs et d’experts, dont :
- Le ministre ougandais de l’Agriculture, Dr Rwamirama Bright Kanyontore,
- Le ministre tchadien Abderahim Awat Atteib,
- Le ministre camerounais Dr Taïga,
- Des représentants de la CEDEAO, de l’Assemblée panafricaine, et de la Communauté d’Afrique de l’Est.
Les partenaires ICWE (Brooke, SPANA, The Donkey Sanctuary, World Horse Welfare) ont présenté de nouvelles données sur le bien-être animal, la valeur socio-économique de l’âne et l’importance de l’innovation dans les chaînes de valeur.
« L’Afrique doit se lever pour protéger sa population d’ânes », a martelé le ministre ougandais.
« Ensemble, nous avons fait l’histoire. Ensemble, nous devons façonner l’avenir », a conclu le Commissaire de l’Union Africaine, Moses Vilakati, par la voix de la Directrice de l’AU-IBAR, Dr Huyam Salih.
Pourquoi préserver l’âne, c’est préserver l’Afrique rurale
- Lien social : L’âne est au centre des solidarités rurales, facilitant les échanges, l’entraide, la mobilité et l’accès aux services essentiels (santé, marchés, école…).
- Résilience climatique : En période de crise, l’âne est le dernier recours, transportant nourriture et eau même là où les véhicules ne passent plus.
- Autonomisation des femmes et des jeunes : Moins de charge physique, plus de temps pour l’éducation, la formation, l’entrepreneuriat.
- Biodiversité et durabilité : Des populations d’ânes saines et bien gérées limitent la pression sur les autres espèces et favorisent l’agroécologie.
Et après PADCO-2 ? Des défis à relever, un espoir à entretenir
Si la conférence marque une avancée majeure, les défis restent nombreux :
- Mise en œuvre effective du moratoire,
- Soutien aux éleveurs face à la perte de revenus liés au commerce des peaux,
- Modernisation des filières de valorisation (engrais organique, tourisme rural, traction animale améliorée, éco-mobilité…),
- Renforcement de la surveillance vétérinaire, de la lutte contre la criminalité et la corruption.
Mais l’élan est là, l’Afrique s’est dotée d’un plan clair, d’un cadre de mobilisation, et d’une volonté politique nouvelle.